
Jean-Louis Etienne, médecin, explorateur, écrivain, auteur de “Persévérance, un voilier pour l’avenir de la planète” publié aux éditions Michel Lafon. Il est au micro de Sonia Devillers.
- Jean-Louis Etienne, médecin et explorateur français
Les explorateurs ne sont pas des voyageurs, ce sont des bâtisseurs. Toute sa vie, Jean-Louis Étienne a imaginé des bateaux, des radeaux, des traîneaux, des capsules, des ballons dirigeables. Il les a construits et il les a fait construire, il les a équipés, entretenus, améliorés, bricolés, réparés. Il les a aimés plus que de simples machines, car ces véhicules extraordinaires sont porteurs de rêves. Mieux, ils sont porteurs de valeur, d’un amour inconditionnel pour les pôles Nord et Sud, ces sentinelles de la planète. À 77 ans, Jean-Louis Étienne poursuit son œuvre d’explorateur des régions polaires avec la même détermination qui l’anime depuis quarante ans. Reçu par Sonia Devillers dans La Grande Matinale, il évoque son parcours singulier, de la campagne tarnaise aux océans les plus hostiles du monde, et dévoile son projet le plus ambitieux : Polar Pod, une « cathédrale » scientifique destinée à étudier l’océan Austral.
Du CAP de tourneur-fraiseur à la chirurgie : un manuel contrarié
Jean-Louis Étienne ne cache pas ses origines modestes. Né dans le Tarn, dyslexique à une époque où on le disait simplement « nul en lecture », il voulait devenir compagnon du devoir, charpentier-menuisier. Faute de place, il s’oriente vers un CAP de tourneur-fraiseur au collège technique. C’est là qu’il développe un goût pour les mathématiques. Cette dimension manuelle, loin de disparaître ensuite, traverse toute sa vie. « Quand je mets mes dix doigts en aidant le chirurgien, je me dis mais, ça, ça sera ma vie, je serai chirurgien », se souvient-il.
À côté, il y a le gout précoce pour l’exploration : « à 14 ans, j’ai fait une liste de matériel pour aller camper dans les Pyrénées en hiver, et apparemment seul ». Mais c’est finalement la mer qui lui offrira le terrain d’expression de cette double compétence : médecin curieux et bâtisseur de machines extraordinaires. En 1977, Éric Tabarly l’embarque comme médecin à bord de Pen Duick VI. « Éric m’a offert mon premier tour du monde, il m’a offert surtout l’ouverture sur la mer (…) et il a fait de moi un marin. »
Polar Pod : une expédition scientifique hors norme face au réchauffement climatique
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« Persévérance » : un laboratoire flottant pour écouter les océans
Aujourd’hui, entre le Mexique et l’atoll de Clipperton, navigue Persévérance, le voilier de Jean-Louis Étienne. Cette goélette de 42 mètres de long, 11 mètres de large, avec ses deux mâts et ses 800 mètres carrés de voiles, est bien plus qu’un simple bateau. « Sa coque est vraiment costaud. Renforcée, elle permet au bateau de se frayer un chemin dans les glaces fracturées. Il est fait pour affronter les régimes de vent et de vagues de l’océan Austral », explique l’explorateur. Mais Persévérance est surtout un laboratoire flottant équipé de capteurs ultra-performants pour évaluer la santé des océans. L’une de ses missions les plus fascinantes ? Écouter la faune marine grâce à un hydrophone tracté à 50 mètres à l’arrière du bateau. « Si vous passez un moment avec les spécialistes de la discussion des mammifères (…), ils éclatent de rire, « tu entends ce qu’il lui a dit ? » », raconte Jean-Louis Étienne avec enthousiasme. Ces enregistrements permettent d’inventorier orques, cachalots, éléphants de mer, et d’estimer leurs populations.
Polar Pod : la cathédrale des 40èmes rugissants
Le projet ultime de Jean-Louis Étienne porte un nom : Polar Pod. Cette structure verticale de 100 mètres de haut, dont 75 mètres sous l’eau avec un lest de 150 tonnes, est conçue pour affronter l’océan Austral, « la mer la plus dangereuse au monde ». L’objectif ? Étudier en continu, aux quatre saisons, cet « océan le moins connu de la planète » qui joue un rôle majeur dans la régulation du climat. « Quel type de vaisseau permettrait de séjourner sur cet océan de tempête dans des bonnes conditions de sécurité et de confort ? », interroge l’explorateur. Sa réponse : un navire vertical, zéro émission, propulsé par le courant circumpolaire et alimenté par des éoliennes. À bord, huit personnes : quatre ingénieurs océanographes, trois marins et une autre personne, pour étudier « le principal puits de carbone océanique de la planète ». Face à Sonia Devillers qui le présente comme un « bâtisseur », Jean-Louis Étienne résume sa philosophie : « Le moteur, c’est l’envie. On ne repousse pas ses limites, on se découvre. On a des performances qu’on ignore de soi. » Et de conclure sur l’essentiel : « Résister à la tentation de l’abandon, c’est une façon très constructive d’avancer. »
« Persévérance, un voilier pour l’avenir de la planète » de Jean-Louis Étienne, avec les photographies de Francis Latreille, est publié aux éditions Michel Lafon.

