Encyclopédie Polaire

LE PLANCTON : UN MONDE MINUSCULE INSOUPÇONNÉ

Le mot “plancton” désigne l’ensemble des êtres vivants qui flottent en pleine eau, incapables de lutter contre les courants. L’univers planctonique possède ses végétaux (le phytoplancton, constitué d’algues unicellulaires) et ses animaux (le zooplancton : oeufs, larves, petits animaux, êtres gélatineux, etc.).

LE PHYTOPLANCTON, PREMIÈRE ÉTAPE DE LA VIE MARINE

Les algues du plancton poussent en surface, dans les premières dizaines de mètres, là où la lumière permet la photosynthèse ; en effet, comme pour les végétaux terrestres, le phytoplancton a besoin d’éléments minéraux et de lumière pour se développer. Il existe des milliers d’espèces d’algues planctoniques, toutes microscopiques : premier maillon de la chaîne alimentaire marine.

LE ZOOPLANCTON

Dans le plancton, on trouve la plupart des groupes zoologiques marins : des animaux unicellulaires aux méduses, dont l’ombrelle peut dépasser 2 m de diamètre ! Cependant, les crustacés y ont une place de choix : les minuscules copépodes figurent même parmi les animaux les plus nombreux de la planète, sans oublier les “fausses crevettes” du krill polaire.

LA VIE PLANCTONIQUE, DANS L’OCÉAN ARCTIQUE

Pendant la nuit polaire, la poussée d’algues planctoniques s’arrête. Au dégel, rejets de saumures et d’organismes piégés dans la glace, courants et ruissellements enrichissent en éléments nutritifs les eaux, en bordure de banquise. Avec le retour du soleil, la vie marine se réveille, relançant la chaîne alimentaire. En été, les microalgues poussent même sous et dans la banquise !

LES FLORAISONS DU PHYTOPLANCTON

Les plantes marines ne voient jamais leur croissance limitée par manque de gaz carbonique… ni par manque d’eau ! Par contre, elles ont besoin, pour élaborer leur matière vivante, de lumière et de matières nutritives (phosphates, nitrates, oligo-éléments, etc.) ou nutriments.
Malheureusement, la lumière est limitée à la couche superficielle alors que, en dehors des zones côtières fertilisées par les apports continentaux, les nutriments abondent dans les eaux profondes. Ils proviennent, du recyclage par les bactéries de la matière organique qui chute vers les profondeurs.
Dans l’océan, les zones où le phytoplancton va proliférer (diatomées, flagellés…) seront donc celles où les nutriments se retrouvent près de la surface éclairée (eaux peu profondes, zones de remontées d’eau ou “upwellings”).

LA PRODUCTION PRIMAIRE DES OCÉANS

Les océanographes apprécient la quantité de plancton végétal présent à un moment donné dans une région océanique (biomasse) en mesurant la teneur des eaux en chlorophylle. La biomasse végétale de l’océan, presque totalement due à des algues microscopiques, est mille fois inférieure à celle des plantes terrestre. Par contre, le phytoplancton se multiplie très rapidement : une seule diatomée peut donner, à raison de deux divisions cellulaires par 24 heures, 1 million de descendants au bout de 10 jours ! Rien à voir avec un arbre de nos forêts qui demande parfois 100 ans pour achever sa croissance. Aussi, grâce à la rapidité de multiplication des algues planctoniques, la production primaire de l’océan, mesurée en utilisant le carbone 14 absorbé par photosynthèse comme traceur, devient, elle, comparable à la production continentale : un hectare d’océan produit annuellement de 200 kg à plus de 2 tonnes de carbone selon les régions, contre 2 tonnes pour un champ de maïs.

SOUS L’OEIL DES SATELLITES

De nombreuses lacunes subsistent encore dans notre connaissance de la productivité de l’océan ; certaines zones sont insuffisamment explorées et tous les processus de croissance ne sont pas encore complètement élucidés (carences, agitation de l’eau, etc).
L’observation par satellite, qui permet de mesurer la vitesse de vents et des courants, la “rugosité” de la mer, la température de l’eau, la teneur en chlorophylle, etc. constitue un outil exceptionnel pour mieux comprendre les “floraisons” planctoniques océaniques.

DES CRUSTACÉS ROIS DU ZOOPLANCTON : LES COPÉPODES

On dit que chaque litre d’eau de mer contient de 1 à 10 copépodes !
Ces minuscules crustacés ont un corps en forme de grain de riz, portant des pattes en forme de rames, parfois un oeil relativement évolué – plus proche d’une lunette ou d’un télescope que de notre oeil humain – et des antennes démesurées.
De moins d’un millimètre à plusieurs centimètres selon les espèces, bleus ou rouges, incolores ou luminescents, benthiques ou pélagiques, polaires ou tropicaux, on compte quelque 2 000 espèces de copépodes planctoniques. En raison de leur importance dans l’océan, les biologistes les observent avec beaucoup d’attention : identification des espèces, études des contenus stomacaux, estimation des rations journalières, recherche des facteurs de croissance, consommation d’oxygène, fertilité, etc.

DE FAUSSES CREVETTES

Le krill est un mot norvégien qui désigne de fortes concentrations d’euphausiacés, petits crustacés à l’allure de crevettes – et autrefois classés parmi ces dernières – conservant de nombreux caractères des crustacés primitifs.
On estime le stock de krill à quelque 500 millions de tonnes. Le krill n’est pas stricto sensu, planctonique, puisqu’il nage à 0,5 km/h en essaim et dépasse 2 km/h individuellement. Et à cause de cela, certains spécialistes le classent dans le macroplancton, alors que, pour d’autres, il fait partie du micronecton (du grec nektos, qui nage, comme les poissons, les cephalopodes, etc.). De plus, le krill effectue des migrations verticales dans les 100 premiers mètres de profondeurs, et parfois au-delà, pour rechercher sa nourriture en filtrant l’eau l’aide d’appendice en forme de peignes très fins.

PAUVRETÉ DE L’OCÉAN ARCTIQUE CENTRAL

Au centre du bassin polaire, la production phytoplanctonique est très faible : moins de 100 mgC/m2/jour ; dans la bande qui l’entoure (plateau continental), elle reste inférieure à 150. Nettement plus riches (200 à 500 mgC/m2/jour) sont les régions ouvertes sur l’Atlantique et le Pacifique – parages de Béring et des Aléoutiennes, bassin Scandinave, mers de Baffin et du Labrador – ainsi que les eaux côtières (plus de 500 mgC/m2/jour).
Toutefois, il faut se rappeler que ce sont là des valeurs moyennes, qui estompent les hétérogénéités locales ou saisonnières, voire annuelles ; mais le bassin polaire central est toujours exclu des zones les plus riches.
À titre de comparaison, la production primaire en Méditerranée occidentale est de 100 mgC/m2/j et de 10 000 mgC/m2/j sur les côtes du Pérou, exceptionnellement riches.

LA VIE DU PLANCTON ARCTIQUE, EN ÉTÉ

Les biologistes formulent plusieurs hypothèses pour expliquer la vie du plancton arctique.
Au printemps, la fonte de la glace produit une couche dessalée et stable en surface, dans une eau riche en sels nutritifs. Ce phénomène permet l’amorçage de la multiplication des micro-algues : le développement puis le recyclage des déchets de certaines espèces stockées dans la glace, sous la banquise, procure une partie des “ingrédients” nécessaires.
En mers de Barents et de Norvège, le déroulement de la première “génération” (ou cohorte) des espèces de copépodes dominantes (Calanus finmarchicus et C. glacialis) montre que la mise en hibernation (diapause en eau profonde) ou la sortie de l’hibernation de copépodes, le développement de leurs organes génitaux et la ponte semblent être déterminés de façon à ce que les premiers stades – herbivores – soient synchronisés avec le développement du phytoplancton en surface.
En mer du Groenland, l’eau qui sort de l’océan Arctique contient peu de zooplancton ; dans cette région, seul le mélange avec l’eau atlantique, transportant les stades de diapause des copépodes et probablement d’autres espèces (microphages de type salpe) peut introduire des brouteurs herbivores ; le phytoplancton y est donc très abondant.

QUE SE PASSE-T-IL EN HIVER ?

Peu d’informations existent sur la distribution, l’évolution et l’action du plancton sur le bilan de matière (en particulier de CO2) pendant l’hiver arctique. L’hypothèse généralement avancée propose que l’absence de lumière inhibe les mécanismes de production de matière organique : l’absorbtion biologique de CO2 par photosynthèse – chez les algues planctoniques autotrophes – est alors nulle ; par contre la production de CO2 par la respiration des organismes hétérotrophes (zooplancton) subsiste.
Par ailleurs, les conditions hivernales sont certainement décisives pour le cycle biologique de nombreuses espèces planctoniques et, en conséquence, pour la constitution d’un stock de nourriture pour les larves de plusieurs espèces de poissons. Certains copépodes en particulier connaissent des stades d’hibernation qui séjournent en profondeur et sont alors déplacés passivement par les courants ; ces animaux ne pourront donner une nouvelle génération au printemps que si les individus sont transportés vers les zones de forte production de phytoplancton printannier, où ils continueront leur développement ou bien se reproduiront, s’ils sont adultes. D’autres espèces survivent et se développent malgré la température extrêmement basse.
Les résultats d’une expédition autour des îles du Svalbard montrent que, pendant la belle saison, la plupart des groupes zoologiques qui jouent un rôle dans la production, ou la destruction, des particules sédimentables sont présents (crustacés : copépodes, amphipodes, ostracodes ; mollusques : ptéropodes ; chaetognathes ; appendiculaires ; coelentérés : siphonophores, méduses).

LA MER DU GROENLAND

Quelle est “l’inoculation” de zooplancton par les courants, en mer du Groenland ?
L’eau arctique n’apporte que de faibles quantités d’organismes vivants, par contre, la remontée de la branche du courant nord-atlantique, empruntant l’Est du détroit par où sortent les eaux polaires, amène des espèces zooplanctoniques. Mais quels sont les groupes dominants qui subsistent en hiver ? Et quel est le rôle du zooplancton sur le bilan de matière ou de CO2 dans cette région ?
En ce qui concerne le phytoplancton, en février et mai, les prélévements réalisés dans un fjord de la côte ouest ne contiennent que des flagellés (de 0.1 à 37 millions de cellules par litre). Il faut attendre avril pour observer des diatomés et une “poussée” importante de la biomasse végétale. Le fort développement d’un flagellé peut amorcer un apport soudain de matière végétale vers le zooplancton. Les concentrations de chlorophylle mesurées conduisent à une production primaire annuelle de 150 mg de carbone par m2 (entre avril et septembre), comparable aux fjords norvégiens.
Il faut noter cependant que les sels nutritifs dans la couche superficielle sont relativement faibles, de l’ordre de grandeur de l’eau profonde méditérranéenne et 2 à 3 fois inférieur aux concentrations rencontrées dans les zones de remontée d’eaux cotières intertropicales.
Le zooplancton, lui, subsiste en hiver entre 300 et 400 mètres et les espèces les plus abondantes sont, probablement, les copépodes ; si Calanus hyperboreus est une espèce “résidente” et prédominante de la mer du Groenland, Calanus finmarchus est importé en profondeur et sa population se réduit en automne, réapparait en avril vers 200-300 mètres et occupe la surface en juin.
Des Ptéropodes comme Limacia sp., qui subsistent à la fin de l’automne, ou le Chaetognathe Eukrohnia sp. contribuent également à la biomasse totale; on note également la présence d’Ostracodes tels que Boroecia borealis à cette période.
Le réseau microbien (bactéries, etc.) doit conserver une activité importante, même en hiver, car la présence d’un appendiculaire parmi les 10 espèces les plus abondantes, traduit en effet l’existence de proies de petite taille.

LA VIE DANS LA BANQUISE

Parfois la banquise se colore de brun et dégage une odeur particulière à cause de la multitude de diatomées qui y poussent, attachées à la face inférieure de la glace.
Mais à l’intérieur de la banquise elle-même, la vie s’installe entre les cristaux de glace douce, dans les fins chenaux de saumures. Un réseau alimentaire complet, algues planctoniques et décomposeurs (bactéries)se développe ainsi. Certains de ces organismes passent toute leur vie dans la banquise, d’autres seulement une partie. Mais tous sont adaptés à de grands écarts de salinité et d’éclairement. Ainsi, même durant l’hiver arctique, certaines algues continuent la photosynthèse en profitant des très faibles lueurs de la nuit polaire.
Ces organismes proviennent du monde marin mais aussi des fleuves environnants. À l’automne, au moment de la prise de la banquise, ils restent accrochés à la glace. La diversité des espèces et leur quantité est d’abord faible, mais au printemps, leur développement puis celui de leurs consommateurs explosent. Dans la banquise vieille de plusieurs années, qui a donc connu plusieurs cycles de ce type, on retrouve des bandes successives de communautés microscopiques datant les différentes “floraisons”.

LE COIN DES BIOLOGISTES

> Le CO2 atmosphérique se dissout partiellement dans l’océan, et d’autant mieux que la température de l’eau est basse : absorbé par exemple en Antarctique, il “ressortira” en région tropicale, après un voyage profond de plusieurs décennies. Il est également utilisé activement par le phytoplancton lors des floraisons ou lors de la formation de coquilles (c’est ce que l’on appelle la “pompe biologique” )… mais en partie rejeté par la respiration.

> Dans les 100 premiers mètres, la biomasse de zooplancton passe de 20 mg de poids sec par m3 à 4 mg entre novembre et février ; il faut attendre juin pour que la biomasse de surface atteigne 60 mg par m3. La biomasse totale sur la couche 0-1000 m est faible dans l’océan Arctique (0.2 mg de poids sec par m3) par rapport à celle de la mer du Groenland ou de Norvège (12-13 mg par m3).

> Les animaux marins capables de supporter de grandes variations de salinité sont favorisés pour survivre aux rythmes des glaces : on a vu par exemple, en juin, une eau de mer s’adoucir en moins d’une heure, pour se stabiliser à 32 %° quelques jours plus tard.

> Les basses températures limitent le nombre d’espèces – bien que chacune comporte un très grand nombre d’individus – et ralentit le métabolisme des êtres vivants. Si, en mer chaude, certains copépodes peuvent, par exemple, réaliser leur cycle biologique en 15 jours, d’autres attendent près de deux ans en eau polaire avant d’atteindre leur maturité sexuelle.

UN PEU DE VOCABULAIRE

On peut classer les organismes planctoniques :

> Selon leur taille :

nanoplancton de l'ordre du milliardième du mètre, soit 0.000 000 001 mètre
microplancton un millionième de mètre, soit 0.000 001 mètre
mésoplancton un millième de mètre
macroplancton quelques millimètres
mégaloplancton plusieurs centimètres

> Selon leur position dans la mer : en surface, on parle d’épiplancton . C’est là que se trouvent la plupart des organismes les plus connus (copépodes, petites crevettes…). Et l’on désigne par bathyplancton ceux qui vivent dans les zones profondes des océans. Ce sont les grands animaux transparents, filtreurs du type méduse, qui s’adaptent le mieux à la pauvreté du milieu.

> Selon leur forme adulte : lorsque l’organisme planctonique ne passe que sa vie larvaire en pleine eau (par exemple les larves d’oursins, de poissons benthiques, de vers…) on parle de méroplancton .
On les distingue de l’holoplancton , qui rassemble les animaux qui demeurent planctoniques leur vie entière (foraminifères, radiolaires, copépodes, chétognathes, etc.).

POUR ALLER PLUS LOIN …

BIBLIOGRAPHIE

  • L’Arctique et l’environnement boréal, P. Avérous – CNDP, 1995
  • L’Antarctique et l’environnement polaire (2) “EREBUS” ,P. Avérous – Dossier pédagogique – CNDP-1992
  • Chercheurs sur l’Océan”, P.Avérous – Hachette -1981
  • Les missions de l’Antarctica : la traversée de Pacifique -1994
  • Arctic Flora and Fauna : status and conservation (CAFF, Conservations of Arctic Flora and Fauna, Helsinski Edita, 2001)

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