Encyclopédie Polaire

LES AUTRES PEUPLES DU GRAND NORD

LES SIBÉRIENS : “PETITS PEUPLES DU NORD”

Aléoutes, Dolganes, Énètses, Évènes, Tchouktches, Nénètses, Koriaks, etc. : de nombreux “petits peuples”, minoritaires, vivent en Sibérie arctique et dans l’Extrême-Orient russe. Cela représentait, en 1989, environ 180 000 personnes. Les Yakoutes, eux, forment une entité distincte de plus de 380 000 personnes, au sein de la république de Sakha (ex-Iakoutie).

LES SÂMES D’EUROPE

Les Lapons – ou Sâmes, peuplent les confins nordiques de l’Europe, de la Norvège à la péninsule de Kola. Ils sont aujourd’hui environ 70 000, mais seulement 5 000 d’entre eux vivent en zone arctique. Pêcheurs ou éleveurs de rennes semi-nomades, ils ont cependant souvent intégré les technologies modernes. En Russie, ils ont été forcés à la sédentarisation pendant le période soviétique.

LES PEUPLES DU DÉTROIT DE BÉRING

Présents sur l’archipel des Aléoutiennes et les îles Pribilof, Saint George et Saint Paul, les Aléoutes ont été ballottés par l’histoire, entre Russie et Etats-Unis. Aujourd’hui, ils sont environ 2 000, parlant surtout américain mais pratiquant toujours la pêche et la chasse en mer. Sur le continent, des tribus amérindiennes (Cree, Déné, etc.) vivent aussi jusqu’aux limites de la toundra.

MYTHES ET CHAMANISME

Les peuples du Nord dépendent tous d’un environnement très rude ; ils ont développé des règles de vie similaires, indispensables à leur survie, comme la solidarité ou l’élevage du renne, ou soulignant leur “communion” avec le milieu (mythes, chamanisme). Le chamanisme est une religion liée aux esprits qui habitent la nature (animaux, plantes, eau…).

L’EURASIE, TERRE DES PREMIERS PEUPLEMENTS ARCTIQUES

L’origine lointaine – remontant à plus de 30 000 ans – des Sibériens de l’Est et des Amérindiens se situe probablement en Asie orientale. On en retrouve des vestiges au sud de la Sibérie, aux frontières de la Chine et de la Mongolie, autour du lac Baïkal et des hautes vallées de l’Ob, de l’Angara et du Ienisseï.
Après la dernière glaciation (-18 000 ans), les Sibériens préhistoriques atteignent les régions boréales en suivant le cours des grands fleuves, à la fois voies de communication et source de nourriture, des steppes à l’Océan Glacial Arctique.
À partir de 14 000 ans BP, l’occupation de la Sibérie par les populations préhistoriques s’étend à toute l’Asie arctique, jusque dans la péninsule du Kamtchatka, dans l’Extrême-Orient du continent (Ushki). Les outils découverts ont permis aux archéologues de définir une “culture” particulière : la Tradition Paléoarctique Sibérienne. On en retrouve les traces des côtes du Japon (Hokkaido) à l’Amérique du Nord.
Vers les Ve et IVe millénaires, la végétation devient plus “accueillante”. Les Sibériens se déplacent toujours plus vers le Nord, chassant, cueillant, pêchant, améliorant leurs techniques (arcs, hameçons, barques, traîneaux, skis…). Des rites apparaissent, comme en témoignent les scènes dessinées sur les parois rocheuses, puis l’agriculture et l’élevage : autour de l’Oural, de l’Ob (IVe et IIIe millénaires), mais aussi au Kamtchatka et aux Kouriles. De meilleures conditions écologiques permettent à l’homme préhistorique de rester plus longtemps sur place ; le nomadisme saisonnier remplace peu à peu les longues migrations.

LES PETITS PEUPLES DU GRAND NORD RUSSE

Actuellement, les linguistes reconnaissent chez les peuples sibériens 3 grands groupes d’origine différente : les ouraliens (à l’ouest, de part et d’autre de l’Oural, dont la langue originelle remonterait au IVe millénaire), les altaïques (au sud et au centre, de part et d’autre de la Léna) et les paléo-asiates (au nord-est de l’Extrême-Orient), dont le nom ambigu laisse penser que ce groupe s’est installé là depuis plus longtemps que les autres, ce qui n’est pas le cas.
Il est également commun de les regrouper, d’après leurs langues, sous les termes plus détaillés de : finno-ougriens – dont font partie aussi bien les Hongrois que les Lapons – et samoyèdes pour les ouraliens ; toungouso-mandchous et turco-mongols pour les altaïques ; et enfin eskimo-aléoutes et youkaguir-tchouvantses pour les paléo-asiates.

Par ordre alphabétique, voici le nom des populations actuelles les plus proches des rivages de l’Arctique, leur localisation et leur importance (recensement 1989) :

Les Aléoutes (groupe eskimo-aléoute) : 702 personnes en Russie (Kamtchatka et îles du détroit de Béring) ; mais la majorité des Aléoutes vivent sur les îles Aléoutiennes, américaines.

Les Dolganes (groupe turco-mongol) : 6 945 personnes, en République de Yakoutie-Sakha et dans l’okroug (“arrondissement” autonome) Dolgano-Nénètse de Taïmyr (capitale Doudinka).Ils sont issus d’un métissage entre les populations toungouse, yakoute, samoyède et russe; ils se disent eux-mêmes orthodoxes – au moins jusqu’à l’avènement du communisme.

Les Énètses (groupe samoyède) : 209 personnes (c’est-à-dire en voie de disparition), dans les okroug autonomes Dolgano-Nénètse de Taïmyr et des Évenkes (capitale Toura).

Les Évènes (groupe Toungouso-mantchou) : 17 199 personnes, en Yakoutie du Nord, au bord de la mer d’Okhotsk, au Kamtchatka et en Tchoukotka.

Les Itelmènes (groupe paléo-asiate) : 1 481 personnes, dans le sud-ouest du Kamtchatka, vers la mer d’Okhotsk (okroug autonome des Koriaks).

Les Iuits (ou Yuit ou Yupik) (groupe eskimo-aléoute) : 1 719 personnes, à l’extrémité de la presqu’île de Tchoukotka (île St Laurent et Alaska centrale) ; parents directs des Inuit d’Amérique.
Certains groupes, vivant dans la zone sensible de la frontière USA URSS, ont été déportés vers les années cinquante hors de leur village de pêcheurs (Grande Diomède, Naoukane, Ounazik…) et tous ont dû se plier à la réalisation de plans quinquennaux (quotas fixes de prises d’eiders, de phoques…), si loin de leur mode de subsistance traditionnel.

Les Koriaks (groupe paléo-asiate) : 9 242 personnes, oblast du Kamtchatka et okroug autonome des Koriaks (capitale Palana).
Avec les autres peuples du Kamtchatka, ils possèdent une très belle littérature orale (mythes, contes…) ; leur écriture utilise un alphabet inspiré du cyrillique. En voie de sédentarisation mais rebelles à la collectivisation, ils ont conservé, comme les Tchouktches, leur mode de vie traditionnel jusqu’au début du XXe siècle.

Les Nénètses (groupe samoyède) : 34 665 personnes, dans les okroug autonomes Iamalo-Nénètses (capitale Salekharde) et Dolgano-Nénètse de Taîmyr (capitale Doudinka) et en Russie européenne (okroug des Nénètses de l’oblast d’Arkhangelsk, capitale Narian-Mar). Typiquement arctiques, les Nénètses sont les seuls à avoir atteints les archipels russes et à être arrivés jusqu’en Nouvelle-Zemble, d’où ils ont été déportés par les soviétiques pour raison “d’essais nucléaires”.
Leurs lointains ancêtres sont venus des monts Saïan et se sont merveilleusement adaptés aux rigueurs du climat polaire. Leurs lois ? Celles de la toundra : le renne et le clan. Mais sous les Soviétiques, ils ont connu la sédentarisation, la collectivisation, la folklorisation. Aujourd’hui, malgré tout, la majorité des Samoyèdes conserve quelques pratiques chamanistes et une extraordinaire littérature orale. Une femme nénetse, Anna Nerkagui, fille d’éleveurs de rennes, a recueilli et écrit leurs traditions. “Les Sept chants de la toundra”, premier film nénetse est sorti en France en 2002.

Les Nganassanes (groupe samoyède): 1 278 personnes (okroug autonome Dolgano-nénètse de Taïmyr).
Ce petit peuple est issu du brassage historique des paléo-asiates, des Toungouses et des Samoyèdes. Circonscrits à la presqu’île de Taïmyr, ils atteignent parfois l’océan lors de leurs transhumances printanières, ce qui en fait le groupe le plus septentrional de la planète (plus nordique que les Inuit du Groenland ou que les Nénètses de Nouvelle-Zemble). Jusqu’à la soviétisation, ils sont restés fidèles à leurs croyances chamanistes;, mais aujourd’hui, “sans écriture, les Nganassanes ne conservent que des bribes de leurs anciennes croyances”.

Les Tchouktches (groupe paléo-asiate) : 15 184 personnes (oblast de Magadan, okroug autonome des Tchouktches, capitale Anadyr).
Il existe un groupe maritime (environ 30%), sédentaire, installé sur le littoral de l’Arctique et de la mer de Béring, et un groupe d’éleveurs de rennes, nomades, dont les camps sont éparpillés dans tout le Nord-Est et le Kamtchatka.
L’okroug des Tchouktches, créé en 1930, est aujourd’hui autonome. Dotée d’un alphabet depuis 1932, la langue Tchouktche a donné naissance à une littérature particulièrement riche et possède l’un des meilleurs écrivains russes : Iouri Rytkheou, né à Ouelen. Sédentarisés en kolkhozes dès les années trente, après avoir été privés de leurs moyens traditionnels d’existence, les Tchouktches tentent aujourd’hui de retrouver leur identité.

Les Tchouvantses (groupe youkaguir-tchouvantse) : 1 511 personnes (okroug autonomes des Tchouktches et des Koriaks).

Les Youkaguirs (groupe youkaguir-tchouvantse) : 1 142 personnes, dans le nord-est de la République de Yakoutie-Sakha, sur le cours de la Kolyma.

Les Yakoutes (381 922 personnes), habitant la République Sakha (Yakoutie), sont trop nombreux pour faire partie des “petits peuples” sibériens et sont considérés comme une entité à part.

LE FOLKLORE SIBÉRIEN

L’origine des cultures contemporaines des peuples de Sibérie est ancrée dans la nuit des temps. Mais, ces folklores autochtones se sont également enrichis des traditions des autres peuples immigrants.
Pour Alexandre Soktoev, sibérien, directeur de l’Institut de philologie de Novossibirsk, “le folklore – oral et vivant, quotidien – enseigne l’art de vivre millénaire des ancêtres; il communique le souci d’une coexistence harmonieuse avec la nature, les règles de survie dans les conditions difficiles de ces régions; il détient des secrets dont personne au monde, hormis ces Autochtones n’est dépositaire. Outre les sujets écologiques (“Ne prends à la nature que ce dont tu as besoin”), l’éthique y occupe une place considérable…”. Et il poursuit : “De nos jours encore, le folklore joue un rôle capital dans la vie des peuples sibériens et pour diverses raisons, au plus profond d’eux-mêmes, les autochtones sentent que leur folklore est le fondement de leur conscience nationale, la couche la plus ancienne de leur culture : plus cette couche sera préservée, plus ils seront à même de se tenir debout sur la terre. Un autre fait intervient : la majorité des Autochtones – particulièrement les plus faibles numériquement – vivent dans des endroits reculés, encore difficiles d’accès (…) ; ainsi, ces peuples restent très empreints de leurs traditions ethno-culturelles”. (Autrement, Hors série n°78, 1994)

ET DEMAIN ?

Pour tous ces “petits peuples” du Grand Nord russe, l’avènement du communisme, soucieux de créer un “homme nouveau” a eu pour règle la sédentarisation et le passage d’une gestion locale et “responsable”, traditionnellement intégrée aux grandes lois de la nature (chamanisme), à une gestion basée sur des rendements et des plans quinquennaux : colonisation des territoires (pêche, élevage, mines, pétrole…), flux migratoires sans lendemain, assistances. Conséquences : “privés de la propriété de leurs pâturages, de leurs troupeaux de rennes, des ressources de la chasse et de la pêche, du sentiment de leur propre dignité, de la responsabilité de leur propre vie”, les sibériens ont “perdu leur âme”, leur raison d’être, sombrant dans la désespérance : oisiveté, mortalité infantile, alcoolisme, suicide.
Mais depuis l’ouverture de la Russie au reste du monde, fascinés en particulier par les actions des Inuit américains, les minorités sibériennes tentent d’imposer leur point de vue ; elles s’organisent pour gérer leurs territoires. En 1990, les 26 “petits peuples du Nord” ont tenu leur premier Congrès à Moscou et leurs représentants participent désormais à toutes les rencontres internationales circumpolaires.

LES SÂMES : NOMADES SCANDINAVES

Le mode de vie pastoral des Sâmes (ou Lapons) a été, de longue date, influencé par les différents peuples qui ont immigré sur leurs terres : Norvégiens, Finnois (ou Kvènes) et Russes, présents à l’Est depuis plus longtemps encore.
La première tentative d’évangélisation n’a lieu qu’à la fin du XIIIe siècle, en Norvège. Dans le royaume de Suède Finlande, ils n’entrent guère en contact avec le christianisme avant le milieu du XVIe siècle, et plusieurs pasteurs du XVIIIesiècle sont connus pour l’énergie avec laquelle ils combattirent chamanisme et sorcellerie”.
Cependant, encore très récemment, les Sâmes respectaient certains tabous, issus du chamanisme. Par exemple, ils ne buvaient pas directement l’eau d’une source ou d’un cours d’eau, mais utilisaient une “paille” en os ; et, en famille, seul le père préparait la viande et le poisson.
Aujourd’hui, forcés de s’intégrer aux États dont ils sont citoyens, les Sâmes souffrent souvent de l’abandon de leur mode de vie ancestral et s’insurgent contre des lois qui tendent à les faire vivre en “réserves”. Il n’empêche qu’en quelques générations, ces populations “sont passées d’un mode de vie quasi préhistorique de type subarctique à la civilisation la plus moderne”. Ce qui fait preuve d’une extraordinaire capacité d’adaptation.

L’ORGANISATION SOCIALE LAPONE

Une forme spécifique d’organisation sociale, la sii’da, caractérise la culture sâme. Le groupe de familles surveille en commun les troupeaux individuels sur les pâturages communautaires. Cette organisation remonte sans doute à l’époque où il fallait se regrouper pour effectuer de grandes chasses. Ainsi, la chasse au renne sauvage se pratiquait au moyen de fossés et de barrières, qui exigeaient un travail collectif à certaines époques de l’année.
Cette collaboration, entre membres d’une même sii’da, s’étend à la construction et à l’entretien des installations techniques fixes diverses : clôtures, pistes de déplacements des rennes, installations d’abattage, dépôts, huttes des bergers…

LE SAVIEZ-VOUS ?

> Dans les îles arctiques, un site datant d’environ 8 000 ans a été récemment reconnu. Il se situe à 76° de latitude nord, sur l’île Jokhov, dans l’archipel De Long, dans le nord des îles Novossibirsk. C’est le site archéologique le plus septentrional découvert à ce jour.

> Aujourd’Hui, les kolkhozes de poissons où les Nénètses remettaient leur pêche contre un salaire fixe ont fermé. Quant aux Tchouktches, ils reprennent la chasse à la baleine et au morse afin de pallier les carences de l’Etat Russe, qui n’assure plus leur ravitaillement.

> La Fédération de Russie – la CEI – est divisée en différents “sujets” politiques et administratifs. Les entités suivantes bordent l’océan Arctique et représentent 4 289 000 habitants, dont 3,7 millions pour les deux seules régions de Mourmansk et d’Arkhangelsk, en Russie d’Europe : la république de Sakha-Yakoutie (la plus vaste : 3 OOO OOO km2 mais à peine 1 OOO OOO d’habitants, dont 39 % d’autochtones); les okrougs Iamalo-Nénetse, Nénetse, Taïmyr et de Tchoukotka et les oblast de Mourmansk et d’Arkhangelsk.

POUR ALLER PLUS LOIN …

BIBLIOGRAPHIE

  • La préhistoire dans le monde – José Garander – puf -1992
  • Handbook of North American Indians – David Damas – Smithsonian Institution – 1984
  • Arctique Horizon 2000, les peuples chasseurs éleveurs – Colloque 1983 – Ed CNRS – 1991, dir. J. Malaurie
  • L’organisation et l’idéologie sociales face aux changements de ressources : exemple Saame, Christian MERIOT – ethnologie et anthropogéographie arctiques – 1982 – ed CNRS
  • Le problème de la singularité des Aléoutes : un essai de problématique – Félix Torres – ethnologie et anthropogéographie arctiques, colloque 1982 – ed CNRS – 1986
  • Les Sibériens de Russie et d’Asie – une vie, deux mondes – Coll. dirigé par AV CHARRIN – revue Autrement, série Monde – HS N°78 – Octobre 1994
  • Peuples des Grands Nords : Tradition et Transition – coll. dirigé par AV CHARRIN, J.M. LACROIX et Michèle THERRIEN – PNS- 1996
  • Une saison chez les Tchouktches – Boris Chichlo – Terres Sauvage – n°67 Novembre 1992
  • La Nouvelle Russie, l’après 1991 : un nouveau “temps de trouble” – J. Radvanyi – Masson/Armand Colin, 1996
  • People of Arctic – National Geographic – vol.163 n°2 – 1983 fev.
  • L’aventure polaire, cinq siècles de présence française, P.Avérous, Muséum National d’Histoire Naturelle/Expéditions Polaires Françaises – 1997

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